« Ethan Lewis ! »
Dans le silence qui succéda à l’appel, un jeune garçon d’une dizaine d’années sortit de la masse. Sa démarche était rapide, ses mains cachaient leur tremblement. Et l’angoisse, ô terrible angoisse, tordait encore davantage son estomac noué. Un millier d’yeux l’observait tandis qu’il s’avançait vers le petit tabouret de bois. L’excitation et l’impatience étaient étouffées par la crainte et le stress. Son souffle était court, ses traits tirés, ses sourcils froncés. Mais il devait s’avancer. Il avait été appelé.
Horrible moment. Redouté et espéré. Il aurait aimé ne pas être là. En même temps, il aurait tout donné pour conserver sa place. Affreux moment.
Il arriva devant ce qu’il voyait comme une guillotine. C’était une roue ; La roue moyenâgeuse aux infâmes supplices, la roue du destin qui tournait et tournait, la roue d’une mécanique huilée qui s’acharnait à faire défiler sa vie sans qu’il ne soit possible de l’arrêter. C’était une roue qui avait la forme d’un innocent tabouret. Et, tel un condamné à mort, craintes et angoisses tournaient dans son cœur ; Mais aucun regret. Caché sous cette puérile frayeur tintinnabulait l’excitation, trépignait l’envie, hurlait l’impatience. C’était une épreuve à passer. Rien de plus qu’une épreuve à passer.
Le garçon se hissa sur le tabouret. Maintenant, il se trouvait face à des centaines de visages qui l’observaient, qui le fixaient, qui le jaugeait. Essayant de cacher son angoisse, de conserver un visage neutre alors que son estomac entamait une salsa endiablée, il porta son regard au bout de la salle, comme pour ne pas croiser ces regards insistants. Puis, sur son crâne, on posa un chapeau.
Le Choixpeau.
Il leva les yeux, observant le large bord du chapeau. Et, soudainement, il le sentit bouger sur sa tête. Il le sentit s’agiter, marmonner quelque chose qu’il ne comprenait pas. Son cœur valsait dans sa poitrine. Et lui, il attendait l’annonce finale. Celle qui ferait basculer sa vie.
Où allait-il aller ?
En soi, il s’en moquait. Mais son arrivée ici était bien plus impressionnante que tout ce qu’il avait pu imaginer. Et pourtant, il s’était tant imagé les souvenirs qu’avait partagé avec lui son père, il s’était tant préparé à son arrivée ici. Il avait si souvent imaginé cette découverte du monde magique, il l’avait si souvent dépeint dans son esprit fertile, conté à son père. Il lui restait, pourtant, tant de choses à voir. Tant de choses ! Poudlard était magnifique.
Il n’avait jamais connu telle magie auparavant. Toutefois, d’aussi loin qu’il s’en souvienne, son père lui avait toujours conté maintes histoires. Il lui avait conté sa propre scolarité, mimé ses rencontres avec un troll des montagnes, expliqué le monde magique. Et sa mère, sa douce mère, souriante, joyeuse, riait à ces récits si souvent entendus.
A son tour, le garçonnet se les appropriait et les racontait à ses camarades de classe. Il se mettait en scène, vantant et mimant les histoires de son plus grand héros. Ils l’écoutaient, bouche bée, le regard illuminé. Mais l’âge apportait son lot de raison et de scepticisme et certains dénigraient ses récits. Le garçon, pourtant, y croyait fermement. Jamais son père ne mentirait. Sa mère non plus. Il était persuadé que les trolls des montagnes existaient et que son père en avait occis un. Que les poissons géants étaient là quelque part, et que son père en avait attrapé un. Que le monde sorcier existait et que son père y allait.
« Ne raconte pas ces histoires, Ethan » Avait doucement murmuré sa mère, pensant ses blessures d’un geste tendre et sûr.
« Mais pourquoi ? Pourquoi ils me croient pas ? Ils disent tous que Papa ment, mais c’est pas vrai, hein ? »
La paume douce et fraîche de sa mère s’était posée sur sa joue. Ses yeux rieurs rencontrèrent le regard boudeur et inquisiteur de son fils.
« Les gens normaux ne connaissent pas le monde magique. Ils ne peuvent croire ce qu’ils ne verront jamais. »
« Mais pourquoi pas leur montrer alors, s’ils savent pas qu’il existe ? »
Le rire de sa mère avait fusé comme une douce brise. Elle avait pris son fils dans ses bras pour l’enlacer avec tendresse.
« C’est impossible. Mais promets-moi que tu ne te battras plus pour cela, Ethan. »
Ces histoires étaient devenues un secret partagé entre les trois membres de la petite famille. Un secret alimenté par quelques objets magiques qu’apportaient son père, comme ces journaux animés ou ces jouets sans moteur. Et, souvent, le garçon s’était impatienté de découvrir le monde magique. Et, toujours, il n’avait eu pour réponse qu’un « quand tu seras admis à l’école magique, mon fils ».
Et voilà. Maintenant, il y était. Et tout était si différent de ce à quoi il s’était attendu. Tout était si gigantesque, si spectaculaire ! Si édifiant ! Si incroyable ! Si… Magique !
Et il attendait, dans l’angoisse, de savoir où allait-il aller. Le Choixpeau allait-il bientôt rendre son verdict ? Le temps lui semblait long. Si long.
Mais son père le lui avait dit. « Dans quelque maison que tu sois, je serais fier de toi. Et ta mère aussi. »
Pourquoi tant angoisser ?
Il y avait, dans l’annonce qu’allait faire le Choixpeau, dans cette voix qui annoncerait son destin, bien plus qu’un simple choix de maison. Il avait un curieux sentiment, comme si cela allait lui révéler ce qu’il était. Qui il était. Comme si son être conditionnait sa maison. Comme s’il allait mieux comprendre l’être obscur qu’il était. Et tout son corps, éreinté et tendu, l’attendait.
Et puis le verdict tomba.
« SERPENTARD !!! »
Déboussolé, comme s’il nageait dans le brouillard, le garçon se leva, papillonnant des yeux. Des acclamations fusèrent à la table des Verts. Il était étonné, surpris. Pas dans le mauvais sens puisqu’à ses yeux, chacune des maisons étaient méritantes ; Il était étonné de se savoir classé parmi les élèves déterminés et ambitieux, malins. Reprenant ses esprits, l’angoisse retombée, l’excitation revenait, la joie envahit ses traits. Il alla s’installer à la table des Verts sous leurs applaudissements et leurs « bienvenue ! », le sourire aux lèvres. Il s’installa sur le banc en bois, et le silence retomba avant qu’un nouvel élève ne soit appelé vers son destin.
Serpentard. Voilà, son destin était scellé. Son père serait certainement fier de lui, même si lui-même avait été chez les Poufsouffle.
Et sa mère ? Etait-elle fière de lui, de là où elle était ?
Il l’espérait sincèrement. Son cœur se serra. Il aurait tant aimé pouvoir lui raconter tout ça. Il aurait tant aimé se dire qu’en rentrant lors des vacances, il pourrait se jeter dans ses bras et lui raconter avec joie sa nouvelle aventure. Mais il savait que sur la Voie 9 ¾, comme à son arrivée, son retour ne serait accueilli que par son seul père au sourire sincère et triste.
Moins d’un an était passé depuis qu’elle avait été emportée par la maladie et son absence pesait toujours aussi lourd dans le cœur du jeune garçon et de son père veuf. Et elle pèserait certainement, à jamais, toujours aussi lourd. Son absence s’en ressentirait toute sa vie. Mais elle était là, quelque part, au fond de son cœur, à observer ce qu’il vivait. Il en était persuadé. Alors il espérait ressentir sa fierté, sa joie de voir son fils découvrir le vrai monde magique et devenir un bon sorcier.
Et, pour elle, pour lui, il irait loin.
_____
La rentrée. Enfin. Il était là, après tant de temps, observant le château reconstruit. Autour de lui, les élèves parlaient. Le même sujet était sur toutes les lèvres. La fin de Voldemort, la reconstruction du château, Harry Potter. Et lui était là, tel un fantôme, seul et invisible parmi tous ces gens. Il n’avait rien à dire. Il n’avait rien à raconter. Rien à pleurer.
Des personnes qu’il avait connu étaient peut-être décédées ? Il n’en savait rien. L’un de ses anciens « amis » l’évitait. Comme ceux qui l’avaient connu le regardaient de travers avant de l’ignorer. Les membres de sa maison seraient-ils plus conciliants ? Mais étaient-ils aussi nombreux, après ce qui s’était passé ? Il ne savait pas. Tant d’eux avaient été accusés de faire partie des « ennemis ». Il n’en avait aucune idée. Il n’avait pas réellement envie de savoir, à vrai dire.
Il avait quatorze ans. Il aurait dû être en quatrième année, mais le Destin en avait décidé autrement. Cruel Destin ! Cruel Destin qui brisa l’avenir de tant d’élèves, plusieurs mois auparavant, et le sien !
Ethan n’y avait pas assisté. Ethan n’était pas là lorsque Poudlard avait sombré. Il était dans le monde moldu, dans la maison de son père au fin fond de l’Ecosse. Il était dans son lit, oscillant entre la vie et la mort. Indifférent aux chamboulements qui bouleversaient le monde magique.
Il s’était battu, seul, contre lui-même et son corps inapte. Parce qu’il voulait vivre, parce qu’il voulait que sa mère soit fière de lui. Parce que son père était à son chevet et ne devait pas se retrouver veuf et seul. Personne, aucun de ses « amis » n’avait pris de nouvelles. Il le comprenait bien ; Après tout, tous pensaient qu’il fuyait, qu’il se cachait ou qu’il avait dû rejoindre les mangemorts.
Mais la réalité était toute autre.
Aurait-il pu expliquer ce qui lui était arrivé ? Une banale bronchite. Une ridicule bronchite qui avait évolué en pneumonie aigüe. Qui l’avait précipité aux frontières de l’Incertain. Le même type de maladie qui avait emporté sa mère. A cause de la même faiblesse : un foutu déficit immunitaire. Un héritage qu’il avait porté de manière insouciante jusqu’au décès de cette femme forte à la tendresse inégalée, cette mère adorable et douce qui lui manquait tant.
Il ne pouvait le partager. Comment aurait-il pu ?
Il était là, parmi tous ces élèves, perdu et si distant. Même s’il avait lu les journaux, même si son père lui avait raconté ce qu’il s’était passé, il se sentait si loin d’eux, de ce qu’ils avaient vécu et que lui-même ne pouvait qu’imaginer.
Il n'avait plus sa place parmi eux. Il n'avait plus sa place nulle part.
Mais la vie continuait.
Il soupira. Il fallait bien aller de l’avant et faire honneur à sa maison. A ses parents. A lui-même.
Déterminé, il pénétra l'immense château reconstruit de Poudlard, Moka sur ses talons.